Meurtres en majuscules (6 page)

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Authors: Hannah,Sophie

Tags: #Policier

BOOK: Meurtres en majuscules
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— À cause de la position du bouton de manchette dans la bouche de Richard Negus, qui elle aussi est différente.

— Non, de grâce. Vous n’allez pas recommencer.

— Écoutez, Catchpool…

Mais le bus s’était arrêté, et Poirot tendait le cou pour inspecter les nouveaux passagers. Quand le dernier fut monté, un homme mince en costume de tweed au crâne aussi dégarni que ses oreilles étaient poilues, Poirot soupira.

— Vous êtes déçu qu’aucun d’eux ne soit Jennie, constatai-je à haute voix, tellement cela me paraissait absurde.

— Oui, mon ami. Je suis déçu en effet, mais vous vous trompez sur ce qui en est la cause. Chaque fois que je pense combien il y a peu de chances que je revoie Jennie dans une cité aussi immense que Londres, je suis déçu. Pourtant… je garde espoir.

— Malgré toute votre méthode pseudo-scientifique, vous êtes un rêveur, hein ?

— Parce que vous croyez que l’espoir est l’ennemi de la science et non sa force motrice ? Permettez-moi de ne pas être d’accord avec vous sur ce point, tout comme je ne le suis pas au sujet du bouton de manchette et de sa position dans les bouches des victimes. Il y a là encore une différence significative dans le cas de Richard Negus par rapport aux deux autres meurtres. Et cette différence-là n’est pas due à des voix que le tueur aurait entendues venant du couloir. Donc il doit y avoir une autre explication. Tant que nous ne la connaîtrons pas, nous ne pourrons être certains qu’elle ne concerne pas également la fenêtre ouverte, la clef cachée dans la pièce, et la porte verrouillée de l’intérieur.

Il vient un moment dans la plupart des affaires, et en particulier celles où Poirot est impliqué, où l’on commence à se dire qu’on réfléchirait mieux tout seul, en s’abstenant de communiquer avec le monde extérieur, et ce pour un meilleur résultat.

Ainsi, en mon for intérieur et à ma seule appréciation, j’en vins à la conclusion suivante : la position un peu différente du bouton de manchette dans la bouche de Richard Negus était sans incidence. Dans l’esprit du meurtrier, l’opération s’était déroulée de la même façon pour les trois victimes : il leur avait ouvert la bouche et y avait placé un bouton de manchette, point final.

En revanche, je ne trouvais aucune explication au fait qu’il eût caché la clef derrière le carreau descellé de la cheminée ; il aurait été plus rapide et plus facile pour l’assassin de l’emporter, ou de la lâcher sur le tapis après l’avoir essuyée pour en ôter ses empreintes.

Derrière nous, la mère et sa fille avaient épuisé leur premier sujet pour passer à celui de la graisse de rognon.

— Il faut penser à retourner à l’hôtel, décréta Poirot.

— Mais nous venons de monter dans le bus ! protestai-je.

— C’est vrai, mais il ne faut pas trop nous éloigner du Bloxham. La réunion dans la salle à manger est pour bientôt. Nous devons descendre de ce bus et en prendre un autre, dit-il. Peut-être la visibilité sera-t-elle meilleure sur le prochain.

Sans insister sur le comment ni le pourquoi, je suivis docilement en m’exhortant au calme. Depuis le bus suivant, Poirot ne vit pas trace de Jennie, à sa grande consternation. Quant à moi, je constatai une fois de plus qu’à Londres, le spectacle est à tous les coins de rue, raison pour laquelle j’aime tant cette ville. Un homme en costume de clown jonglait aussi piètrement que possible. Pourtant, les passants jetaient des pièces dans le chapeau déposé à ses pieds. Autres temps forts du spectacle : un caniche, dont la tête ressemblait de façon troublante à celle d’un homme politique très en vue, et un vagabond assis sur le trottoir, à côté d’une valise ouverte dans laquelle il puisait de quoi se restaurer, comme d’un distributeur automatique.

— Regardez, Poirot, dis-je. Ce gars-là se fiche du froid, il est heureux comme un pape. Il a la bouche pleine de crème et s’en pourlèche les babines. Et voyez aussi ce caniche… il ne vous rappelle pas quelqu’un ? Quelqu’un de célèbre. Allons, regardez bien, c’est frappant.

— Catchpool, me tança Poirot. Levez-vous, sinon nous allons manquer notre arrêt. Vous cherchez toujours à faire diversion.

Je le suivis et lui rétorquai, dès que nous fûmes descendus du bus :

— C’est vous qui m’avez entraîné dans cette absurde excursion éclair dans les rues de Londres. Vous ne pouvez pas me reprocher d’en profiter.

Poirot s’arrêta de marcher et se tourna vers moi.

— Dites-moi un peu. Pourquoi vous refusez-vous à examiner les trois cadavres de l’hôtel ? Qu’est-ce qui vous perturbe à ce point ?

— Rien. Je les ai examinés autant que vous ; d’ailleurs je m’en étais déjà occupé avant que vous n’entriez en scène.

— Si vous n’avez pas envie d’en discuter, il suffit de le dire, mon ami.

— Il n’y a rien à discuter. Je ne connais personne qui s’obstinerait à contempler un cadavre plus longtemps que nécessaire. Voilà tout.

— Non, ce n’est pas tout, répliqua posément Poirot.

Sans doute aurais-je dû lui raconter d’où me venait mon malaise, et j’ignore pourquoi je ne l’ai pas fait. Mon grand-père s’est éteint quand j’avais cinq ans, après une longue agonie. Il était couché à l’étage, chez nous. Je n’aimais pas lui rendre visite dans sa chambre, mais mes parents insistaient pour que je m’y rende tous les jours, disant que c’était important pour lui ; je m’y pliais pour leur faire plaisir, à eux et à lui. J’observais son lent déclin, sa peau devenant de plus en plus jaunâtre, sa respiration pénible, son regard vague. À l’époque, je n’attribuais pas mes appréhensions à de la peur, mais je me souviens que je comptais chaque jour les secondes qu’il me fallait passer dans cette chambre, attendant avec une impatience mêlée d’angoisse l’instant où je pourrais enfin m’en échapper, fermer la porte derrière moi et arrêter de compter.

Quand il mourut, ce fut pour moi une libération, comme si je sortais de prison et pouvais à nouveau vivre pleinement. On l’emporterait, la mort ne régnerait plus sur cette maison. Alors ma mère me dit que je devais aller voir grand-père une dernière fois dans sa chambre et qu’elle viendrait avec moi. « Tout ira bien », me dit-elle.

Le médecin avait préparé le corps. Ma mère m’expliqua comment l’on procédait avant d’exposer le défunt. Je comptai les secondes en silence. Cela durait plus que d’habitude. Je demeurai debout près de ma mère, à regarder le corps inerte et ratatiné de grand-père. « Tiens-lui la main, Edward », me dit-elle, et comme je refusais, elle se mit à pleurer, pleurer toutes les larmes de son corps. Alors je pris la main froide et osseuse de grand-père. J’aurais tant voulu lâcher cette main et m’enfuir, mais je la tins dans la mienne jusqu’à ce que ma mère ait séché ses larmes et qu’enfin nous puissions redescendre.

Tiens-lui la main, Edward. Tiens-lui la main.

5

Cent personnes interrogées

Lorsque Poirot et moi-même entrâmes dans la salle de restaurant du Bloxham, je fus si frappé par sa magnificence que je remarquai à peine tous ceux qui s’y étaient réunis. Je m’arrêtai sur le seuil pour contempler le haut plafond somptueusement ornementé de moulures et d’emblèmes. Dire que les clients prenaient ici leur petit déjeuner ! J’avais du mal à les imaginer se livrant à des occupations aussi banales que beurrer leurs toasts, les tartiner de marmelade ou décapiter leurs œufs à la coque, sans même lever les yeux pour contempler la merveille qui se trouvait au-dessus de leurs têtes.

J’essayais d’embrasser l’ensemble du décor en réunissant les différentes parties qui composaient le haut plafond quand un Luca Lazzari tout dépité se rua vers nous et se répandit en excuses.

— Monsieur Catchpool, monsieur Poirot, si vous saviez comme je m’en veux ! Dans ma hâte de vous aider dans votre enquête, j’ai commis la plus grossière des erreurs ! Cela vient du fait que j’ai voulu rassembler trop vite les multiples informations récoltées
auprès de mon personnel, et que je me suis fourvoyé ! Moi seul suis à blâmer. Personne d’autre n’est fautif…

Lazzari s’interrompit pour regarder par-dessus son épaule la centaine de personnes réunies dans la salle. Puis il se déplaça vers la gauche afin de se camper juste devant M. Poirot et bomba curieusement le torse en mettant les mains sur ses hanches. Espérait-il ainsi s’interposer pour protéger tout son personnel des foudres de Poirot ?

— Et quelle est cette erreur, signor Lazzari ? demanda ce dernier.

— En vérité, je me suis lourdement trompé ! D’ailleurs, vous m’aviez fait remarquer que ce n’était pas possible, et vous aviez raison. Mais comprenez-moi bien, mon excellente équipe, que vous voyez ici devant vous, m’a dit la vérité sur ce qui s’est déroulé, et c’est bien malgré moi que j’ai déformé cette vérité !

— Je comprends. À présent, veuillez rectifier cette erreur… ? s’enquit Poirot avec espoir.

Tous les membres de « l’excellente équipe » étaient assis en silence autour de grandes tables rondes, et ils avaient écouté cette conversation sans en perdre une miette. L’humeur générale était sombre. Je parcourus rapidement les visages sans voir l’ombre d’un sourire.

— Je vous ai dit que les trois clients décédés avaient demandé qu’on leur serve leur dîner dans leur chambre à 19 h 15 hier soir, chacun séparément, dit Lazzari. Ce n’est pas vrai ! Ils étaient ensemble ! Ils ont dîné tous les trois dans la chambre d’Ida Gransbury, la 317. Et c’est un seul serveur, et non pas trois, qui les a vus bien vivants à 19 h 15. Comprenez-vous, monsieur Poirot ? Il ne s’agit pas de l’étrange coïncidence que vous avez soulignée en la jugeant invraisemblable, mais d’un événement tout à fait banal : trois clients dînant ensemble dans la chambre de l’un d’entre eux !

— Bon, ça se tient, répondit Poirot, qui semblait satisfait. Et qui était le serveur ?

Quelqu’un se leva de l’une des tables, un homme d’une cinquantaine d’années, chauve et corpulent, avec l’œil mélancolique et les joues flasques rappelant ceux d’un basset.

— C’était moi, monsieur, dit-il.

— Puis-je savoir comment vous vous appelez ?

— Rafal Bobak, monsieur.

— Vous avez servi le dîner à Harriet Sippel, Ida Gransbury et Richard Negus dans la chambre 317 à 19 h 15 hier soir ?

— C’était plutôt un goûter-dîner, monsieur. D’ailleurs, c’est le terme que M. Richard Negus a employé. Il m’a demandé si cela était possible, ou si l’on était obligé de commander un vrai dîner. Selon lui, ses amies et lui ne se sentaient pas d’attaque et préféreraient une simple collation. Un thé copieux. Je lui ai répondu qu’il en serait selon leurs désirs. Il a commandé des sandwiches au jambon, fromage, saumon et concombre, ainsi qu’un assortiment de gâteaux. Et des scones, monsieur, avec de la crème et de la confiture.

— Et comme boissons ? demanda Poirot.

— Du thé, monsieur. Pour eux trois.

— Et du sherry pour Richard Negus ?

— Non, monsieur. Pas de sherry. M. Negus n’en a pas commandé. Je n’ai pas monté de verre de sherry à la chambre 317.

— Vous en êtes certain ?

— Absolument, monsieur.

Me trouver face à tous ces yeux scrutateurs me mettait un peu mal à l’aise. Je n’avais encore posé aucune question et je n’en étais que trop conscient. Laisser Poirot mener la danse m’allait très bien, mais il me fallait prendre le relais si je ne voulais passer pour un personnage falot, venu faire de la figuration.

— Est-ce que l’une ou l’un d’entre vous a apporté une tasse de thé à la chambre d’Harriet Sippel, la 121, à un moment ou un autre ? Ou un sherry à celle de Richard Negus ? Que ce soit hier jeudi, ou mercredi ?

Ils répondirent tous par la négative, en secouant la tête. À moins que l’un d’eux ne mente, la seule commande avait été servie le jeudi dans la chambre 317, à 19 h 15.

J’essayai de faire rapidement le tri dans mes pensées : la tasse de thé dans la chambre d’Harriet ne posait pas de problème. Harriet avait pu emporter l’une de celles servies par Bobak, puisqu’on n’avait retrouvé que deux tasses dans la chambre d’Ida après les meurtres. Mais comment le verre de sherry s’était-il trouvé dans la chambre de Richard, si aucun serveur ne l’y avait apporté ?

Le tueur était-il arrivé au Bloxham avec un verre de sherry à la main, les poches remplies de boutons de manchette monogrammés et d’une fiole de poison ? Cela semblait tiré par les cheveux.

Apparemment, Poirot se heurtait au même problème.

— Tirons cela au clair : aucun de vous n’a servi de verre de sherry à M. Richard Negus dans sa chambre, ni ailleurs dans l’hôtel ?

Tout le monde fit non de la tête.

— Signor Lazzari, pouvez-vous me dire s’il vous plaît si le verre retrouvé dans la chambre de Richard Negus appartenait à l’hôtel ?

— Oui, monsieur Poirot. Tout cela est fort déconcertant. Nous aurions pu supposer qu’un serveur absent aujourd’hui vendredi avait donné le verre de sherry à M. Negus le mercredi ou le jeudi, mais tous les employés qui étaient présents ces jours-là le sont également aujourd’hui.

— Comme vous dites, c’est fort déconcertant, convint Poirot. Monsieur Bobak, peut-être pouvez-
vous nous raconter ce qui s’est passé quand vous avez apporté le goûter-dîner, comme vous dites, à la chambre d’Ida Gransbury ?

— J’ai posé le plateau sur la table, puis j’ai quitté la pièce, monsieur.

— Et ils étaient tous les trois présents dans la chambre ? Mme Sippel, Mlle Gransbury et M. Negus ?

— En effet, monsieur.

— Décrivez-nous la scène.

— La scène, monsieur ?

Voyant que Rafal Bobak était un peu perdu, je mis mon grain de sel.

— Qui a ouvert la porte ?

— M. Negus.

— Et où se trouvaient les deux femmes ?

— Oh, elles étaient assises dans des fauteuils près de la cheminée et discutaient. Je n’ai pas eu affaire à elles. Je n’ai parlé qu’à M. Negus. J’ai tout disposé sur la table près de la fenêtre, puis je suis parti, monsieur.

— Vous rappelez-vous de quoi parlaient les deux dames ? demanda Poirot.

— Eh bien…, dit Bobak en levant les yeux au ciel.

— C’est important, monsieur. Chaque détail concernant ces trois personnes est important.

— Eh bien… elles disaient du mal de quelqu’un, et cela les faisait rire.

— Vous voulez dire qu’elles étaient malveillantes ? Comment ça ?

— L’une d’elles, surtout. Et M. Negus semblait trouver cela très amusant. Ce n’était pas mes affaires, aussi n’ai-je pas écouté.

— Vous rappelez-vous précisément ce qui s’est dit ? Et quelle était la cible de leurs médisances ?

— Il était question d’une femme d’un certain âge qui s’était amourachée d’un jeune homme, d’après ce que j’ai cru comprendre. Je ne prête pas l’oreille aux
commérages, monsieur. Je ne saurais vous en dire plus, désolé.

— Si quelque chose vous revient de cette conversation, veuillez m’en informer sans délai, monsieur Bobak, lui intima Poirot de son ton le plus autoritaire.

— Entendu, monsieur. Maintenant que j’y repense, j’ai cru comprendre que le jeune homme avait laissé tomber la femme d’un certain âge pour s’enfuir avec une autre. Ce genre de futilités.

— Donc…, commença Poirot, et il se mit à arpenter la salle de long en large.

C’était étrange de voir plus d’une centaine de têtes le suivre lentement des yeux et tourner d’un même mouvement tandis qu’il revenait sur ses pas.

— … nous avons Richard Negus, Harriet Sippel et Ida Gransbury, un homme et deux femmes, dans la chambre 317, médisant sur un homme et deux femmes !

— Mais quel sens cela a-t-il, Poirot ? demandai-je.

— Peut-être aucun. N’empêche, c’est intéressant. Ces commérages, ces rires, ce goûter-dîner… Tout cela nous révèle que nos trois victimes se connaissaient, et qu’elles ne se doutaient pas du triste sort qui les menaçait.

Soudain, à la table juste devant nous, un jeune homme brun bondit de son siège comme un diable de sa boîte. Je pensais qu’il allait s’empresser de parler, mais il resta silencieux, et je remarquai alors sa pâleur. Il avait l’air terrifié.

— Voici M. Thomas Brignell, assistant du service clientèle, dit Lazzari en le présentant d’un grand geste de la main.

— Non seulement ils se connaissaient, monsieur, mais c’étaient de bons amis, souffla Brignell après un silence prolongé, si bas qu’aucun de ceux qui étaient assis derrière lui n’avait pu l’entendre.

— Évidemment qu’ils étaient bons amis ! clama Lazzari à la ronde. Ils ont pris leur repas ensemble !

— Bien des gens mangent ensemble chaque jour tout en se détestant cordialement, intervint Poirot. Veuillez continuer, monsieur Brignell.

— Quand j’ai rencontré M. Negus hier soir, j’ai constaté qu’il était très attentionné envers ces deux dames, comme seul un ami peut l’être, nous murmura Thomas Brignell.

— Vous l’avez rencontré ? dis-je. Où ? Quand ?

— À 19 h 30, monsieur, répondit-il en désignant la porte à deux battants de la salle à manger, d’un bras tremblant. Juste là devant. Je passais, tandis que lui s’approchait de l’ascenseur. Il m’a vu, s’est arrêté, m’a appelé. J’ai supposé qu’il était sur le point de regagner sa chambre.

— Que vous a-t-il dit ? demanda Poirot.

— Il… il m’a demandé de faire en sorte que ce soit lui qui règle la note de la collation, et non ces dames. Il pouvait se le permettre, alors que Mme Sippel et Mlle Gransbury n’avaient pas de gros moyens, m’a-t-il expliqué.

— C’est tout ce qu’il a dit, monsieur Brignell ?

— Oui.

N’osant pousser davantage mes questions de peur de le voir défaillir, je mis fin à notre entretien.

— Merci, monsieur Brignell, vous nous avez été très utile, dis-je aussi chaleureusement que je le pus, et je m’en voulus aussitôt de n’avoir pas remercié également Rafal Bobak. Tout comme vous, monsieur Bobak, m’empressai-je d’ajouter. Ainsi que vous tous.

— Catchpool, murmura Poirot. Tous les autres n’ont pas dit un mot.

— Ils ont écouté avec attention, et pris le temps de réfléchir aux questions que nous leur posions. Ils méritent donc des remerciements.

— Vous avez confiance en leur jugement, hein ? Peut-être sont-ils à eux tous la centaine de personnes que vous invoquez quand nous ne sommes pas d’accord ? Bien, si nous allions interroger justement ces cent personnes-là…, dit Poirot en se tournant vers l’assemblée. Mesdames et messieurs, nous venons d’apprendre que Richard Negus, Harriet Sippel et Ida Gransbury étaient amis, et que leur repas leur a été servi dans la chambre 317 à 19 h 15. Pourtant à 19 h 30, M. Brignell a vu Richard Negus à cet étage de l’hôtel, se dirigeant vers l’ascenseur. À cet instant, M. Negus doit regagner sa chambre, la 238, ou bien la chambre 317 pour rejoindre ses amies. Mais d’où revient-il ? Les sandwiches et les gâteaux qu’il a commandés ont été servis voilà juste un quart d’heure ! Les a-t-il laissés en plan pour s’en aller quelque part ? Ou a-t-il mangé sa part en trois ou quatre minutes avant de partir ? Et pour s’en aller où ? Quelle est donc l’obligation qui lui a fait quitter précipitamment la chambre 317 ? Était-ce pour s’assurer que la note de la collation ne serait pas portée sur la facture d’Harriet Sippel ou d’Ida Gransbury ? Ne pouvait-il attendre vingt ou trente minutes de plus, ou même une heure, avant d’aller s’acquitter de cette tâche ?

Une robuste femme aux cheveux châtain bouclés se dressa au fond de la salle.

— Comme si je savais, moi ! Vous ne cessez de nous bombarder de questions comme si nous pouvions en connaître les réponses alors que nous ne savons rien ! s’exclama-t-elle en cherchant du regard l’approbation de ses collègues réunis autour d’elle, tandis qu’elle s’adressait à Poirot. Je veux rentrer chez moi, monsieur Lazzari, gémit-elle. Je veux rejoindre mes enfants pour voir s’ils vont bien !

Une jeune femme assise à côté d’elle posa une main sur son bras pour tenter de la calmer.

— Assieds-toi, Tessie. Ce monsieur essaie juste de faire avancer l’enquête. Tes gosses ne risquent rien, du moment qu’ils ne s’approchent pas du Bloxham.

À cette remarque, qui se voulait réconfortante, Luca Lazzari et la mère de famille poussèrent de petits cris d’angoisse.

— Nous ne vous retiendrons plus longtemps, madame, dis-je. Et je suis certain qu’ensuite, M. Lazzari vous permettra de rentrer voir vos enfants, si vous en éprouvez le besoin.

Lazzari opina du chef, et Tessie se rassit, un peu rassérénée.

Je me tournai vers Poirot.

— Richard Negus n’a pas quitté la chambre 317 dans le but de régler l’addition, il revenait de quelque part lorsqu’il s’est précipité sur Thomas Brignell. Donc, c’est qu’il avait déjà fait ce qu’il s’était fixé. C’est par hasard qu’il est tombé sur M. Brignell et a décidé de régler avec lui cette histoire de note.

Avec ce petit discours, j’espérais démontrer à toute l’assistance que nous avions des réponses autant que des questions. Peut-être pas toutes, mais quelques-unes, ce qui était mieux que rien.

— Monsieur Brignell, reprit Poirot, avez-vous eu l’impression que M. Negus vous avait croisé par hasard et qu’il avait saisi l’occasion, comme le suggère M. Catchpool ? Il ne vous cherchait pas ? C’est bien vous qui l’avez reçu quand il est arrivé à l’hôtel le mercredi, n’est-ce pas ?

— En effet, monsieur. Non, il ne me cherchait pas, confirma Brignell, qui semblait plus à son aise pour parler, maintenant qu’il était assis. Il m’a croisé par hasard et s’est dit « Tiens, je connais cette tête-là », si vous voyez ce que je veux dire, monsieur.

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