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Authors: Joël Dicker

Le livre des Baltimore (12 page)

BOOK: Le livre des Baltimore
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Le cœur lourd, Hillel retourna en classe pour les cours de l'après-midi. Porc l'y attendait impatiemment. « L'heure de la vengeance a sonné, Crevette, lui dit-il. Maintenant que ton petit copain Woody n'est plus là, je vais pouvoir m'occuper de toi dès que les cours seront terminés. J'ai une belle merde de chien qui t'attend. Tu as déjà mangé de la merde de chien? Non? Ce sera ton dessert. Tu vas la manger jusqu'au dernier morceau. Miam, miam ! »

 

Au moment où sonna la cloche annonçant la fin de la journée, Hillel s'enfuit de la classe avec Porc à ses trousses. « Attrapez la Crevette ! hurla Porc. Attrapez-le, on va lui faire sa fête. » Hillel galopa à travers les couloirs puis, au moment de sortir du côté du terrain de basket, il profita de sa petite taille pour se faufiler à contre-courant à travers une nuée d'enfants qui descendaient les escaliers depuis leurs salles de classe. Il remonta au premier étage puis traversa les couloirs déserts jusqu'à un local de conciergerie. Il s'y terra longuement, retenant sa respiration. Le sang battait ses tempes, le bruit de son cœur résonnait dans ses oreilles. Lorsqu'il osa sortir, il faisait nuit. Les couloirs étaient éteints et déserts. Il se déplaça sur la pointe des pieds, cherchant la sortie, et reconnut bientôt le couloir qui menait à la salle de rédaction du journal. En passant devant, il remarqua que la porte était entrebâillée et il perçut de drôles de bruits. Il s'immobilisa et écouta. Il distingua la voix de Madame Chariot. Puis il entendit le son d'une claque suivi d'un gémissement. Il regarda par l'entrebâillement de la porte mal fermée et vit le principal Hennings, assis sur une chaise. Avec, étendue sur lui et lui présentant ses fesses, Madame Chariot, la jupe et la culotte baissées. D'une main ferme, il la fessait amoureusement et à chaque coup, elle gémissait délicieusement.

— Salope ! déclara-t-il à l'intention de Madame Chariot.

— Oui, je suis une grosse salope dégoûtante, répéta-t-elle.

— Salope ! confirma-t-il.

— J'ai été une très vilaine élève, Monsieur le principal, avoua-t-elle.

— Tu as été une vilaine petite salope? interrogea encore Hennings.

Hillel, qui ne comprenait rien de la scène qui se déroulait sous ses yeux, poussa brusquement le battant de la porte et s'écria :

— Les gros mots, c'est pas beau !

Madame Chariot se dressa d'un bond et poussa un hurlement strident.

— Hillel? bégaya Hennings tandis que Madame Chariot relevait sa jupe avant de s'enfuir.

— Qu'est-ce que vous fabriquez? demanda Hillel.

— On faisait un jeu, répondit Hennings.

— Ça ressemble surtout à un chahut, constata Hillel.

— Nous... Nous faisions de l'exercice. Et toi, qu'est-ce que tu fais là?

— Je me cachais parce que les autres enfants veulent me taper et me faire avaler du caca de chien, expliqua Hillel au principal qui ne l'écoutait plus et cherchait Madame Chariot dans le couloir.

— C'est très bien, dit Hennings. Adeline? Adeline, tu es là?

— Est-ce que je peux rester caché? demanda Hillel. J'ai vraiment peur de ce que Porc va me faire.

— Oui, c'est très bien, mon garçon. As-tu vu Madame Chariot?

— Elle est partie.

— Partie où?

— Je sais pas, vers là-bas.

— Bon, occupe-toi un instant, je reviens tout de suite.

Hennings longea le couloir en appelant : « Adeline? Adeline, où es-tu? » Il trouva Madame Chariot recroquevillée dans un coin.

— Ne t'inquiète pas, Adeline, lui dit-il, le petit n'a rien vu.

— Il a tout vu ! hurla-t-elle.

— Non, non. Je t'assure.

— Vraiment? demanda-t-elle, la voix tremblante.

— Certain. Tout va bien, tu n'as aucune inquiétude à avoir. Et puis, ce n'est pas le genre à faire des histoires. Ne t'en fais pas, je vais lui parler.

Mais de retour à la salle de rédaction du journal, Hennings ne put que constater qu'Hillel n'y était plus. Il le retrouva une heure plus tard, chez lui, lorsque Hillel sonna à la porte de sa maison.

— Bonjour, Monsieur le principal.

— Hillel? Mais qu'est-ce que tu fais ici?

— Je crois que j'ai quelque chose qui vous appartient, dit Hillel en sortant de son sac une culotte de femme.

Hennings ouvrit des yeux comme des billes et battit l'air de ses mains.

— Range-moi cette saleté ! ordonna-t-il. Je ne sais pas de quoi tu parles !

— Je pense que c'est à Madame Chariot. Vous lui avez baissé la culotte pour la battre et elle a oublié de la remettre. C'est étrange parce que, si moi j'oubliais de mettre ma culotte, je sentirais les courants d'air sur le zizi. Mais peut-être que les femmes, comme elles ont le zizi à l'intérieur, elles ne sentent pas les courants d'air.

— Tais-toi et fiche le camp ! siffla Hennings.

On entendit depuis le salon la voix de la femme de Monsieur Hennings demander qui avait sonné.

— Rien, chérie, répondit Hennings d'une voix de miel. Un élève en difficulté.

— Peut-être qu'on devrait demander à votre femme si c'est sa culotte? suggéra Hillel.

D'un geste maladroit, Hennings essaya d'attraper la culotte mais comme il n'y parvint pas, il cria à l'attention de sa femme :

— Chérie, je vais faire trois pas dehors !

Il sortit sur le trottoir en pantoufles et entraîna Hillel avec lui.

— T'es pas fou de venir ici?

— J'ai vu qu'il y avait un kiosque qui vend des glaces là-bas, dit Hillel.

— Je ne vais pas t'acheter une glace. C'est l'heure de dîner. Et puis, comment tu es venu ici?

— Je me demande si Madame Chariot aime mettre de la glace sur ses fesses toutes rouges? continua Hillel.

— Viens, nous allons t'acheter une glace.

Chacun un cornet de glace en main, ils déambulèrent dans le quartier.

— Pourquoi vous avez donné une fessée à cette pauvre Madame Chariot? demanda Hillel.

— C'était un jeu.

— À l'école, on nous a parlé de la maltraitance. C'était de la maltraitance? Ils nous ont donné un numéro de téléphone.

— Non, mon garçon. C'était quelque chose que nous voulions tous les deux.

— Jouer à la fessée?

— Oui. Ce sont des fessées spéciales. Elles ne font pas mal. Elles font du bien.

— Ah ! Mon copain Luis il a reçu une fessée de son père et il a dit que ça faisait drôlement mal.

— Là, c'est différent. Ce sont des fessées que se donnent les adultes. Ils en parlent avant, pour être sûrs que tout le monde est d'accord.

— Ah, fit Hillel. Alors quoi, vous avez dit à Madame Chariot: « Dis donc, Madame Chariot, ça vous dérange pas si je vous baisse vot' culotte pour vous donner une fessée » et elle a répondu : « Pas du tout. »

— En quelque sorte.

— Ça me semble bizarre.

— Tu sais, mon garçon, les adultes sont des gens bizarres.

— Je le sais.

— Non, je veux dire : plus bizarres que tu peux imaginer.

— Vous aussi?

— Moi aussi.

— Vous savez, je sais de quoi vous parlez. Des amis de mes parents ont dû faire un divorce. Ils sont venus un soir tous les deux dîner à la maison, et une semaine après, la femme est venue dormir chez nous. Elle n'arrêtait pas de parler de son mari avec des mots interdits. Il faisait des choses avec la nounou des enfants.

— Les hommes font ça parfois.

— Pourquoi?

— Pour des tas de raisons. Pour se sentir mieux, pour se sentir plus fort. Pour se sentir plus jeune. Pour assouvir des pulsions.

— C'est quoi une pulsion?

— C'est quelque chose qui sort de nous sans qu'on sache bien pourquoi. Notre tête ne peut plus réfléchir et notre corps fait n'importe quoi, et après on regrette.

— L'autre jour, j'ai retrouvé un paquet de bonbons derrière mon lit. C'étaient mes bonbons préférés, mais Maman m'a dit de pas y toucher parce qu'on allait bientôt dîner, mais j'ai pas pu m'empêcher de les manger parce que c'étaient mes bonbons préférés, mais après j'ai regretté parce que je me sentais ballonné et j'avais pas faim pour le dîner que maman avait préparé. C'était une pulsion, ça?

— Si on veut.

— Et vous, pourquoi vous faites le jeu de la fessée avec Madame Chariot? Vous n'aimez plus votre femme, comme les amis de mes parents?

— Au contraire, j'aime ma femme. Je l'aime énormément.

— Mais alors, c'est à elle qu'il faut donner des fessées d'amour !

— Elle ne veut pas. Tu sais, parfois les hommes ont des besoins. Ils doivent les assouvir. Mais ça ne veut pas dire qu'ils n'aiment pas leur femme. M'enfermer dans la salle de rédaction avec Madame Chariot, c'est un moyen de rester avec ma femme. Et j'aime ma femme. Je ne voudrais pas qu'elle soit triste. Elle serait triste si elle apprenait ça. Tu comprends? Je suis certain que tu comprends.

— Oui, moi, je comprends. Mais vous êtes le supérieur de Madame Chariot et ça va faire des tas d'histoires, c'est sûr. Et puis je suis sûr que les parents seront déçus que les chaises sur lesquelles leurs enfants s'assoient dans la salle de rédaction soient utilisées pour y mettre une enseignante cul nu et...

— Bon ! le coupa Hennings. J'ai compris ! Qu'est-ce que tu veux?

— Je voudrais une place gratuite à l'école pour mon copain Woody.

— Tu es fou ! Tu crois que j'ai 20 000 dollars à sortir de mon chapeau?

— Vous gérez le budget. Je suis sûr que vous saurez vous débrouiller. Il n'y a qu'à rajouter une chaise au fond de la classe. C'est pas très compliqué. Et puis, comme ça, vous pourrez continuer d'aimer votre femme en donnant des fessées à Madame Chariot.

Le lendemain matin, le principal Hennings contactait Artie Crawford pour lui dire que l'Association des parents d'élèves de l'école d'Oak Tree était très heureuse d'octroyer une bourse à Woody. Après discussion avec mon oncle et ma tante, ceux-ci proposèrent, au plus grand bonheur d'Hillel, que Woody s'installe chez eux pour vivre à proximité de l'école. Le soir de l'intégration de Woody à Oak Tree, le principal Hennings écrivit dans son journal de bord :
Décision prise aujourd'hui d'octroi d'une bourse exceptionnelle à un drôle de gamin, Woodrow Finn. Le petit Hillel Goldman semble émerveillé par lui. Nous verrons bien si la venue de ce nouvel élève lui permet de révéler son potentiel, comme je l'espère depuis longtemps.

 

C'est ainsi que Woody entra dans la vie des Goldman-de-Baltimore et qu'il s'installa dans l'une des chambres d'amis, réaménagée pour qu'il s'y sente bien. Oncle Saul et Tante Anita ne virent pas Hillel plus heureux que pendant les années qui suivirent. Woody et lui allaient à l'école ensemble, ils en revenaient ensemble. Ils déjeunaient ensemble, ils se faisaient coller ensemble, ils faisaient leurs devoirs ensemble et, sur les terrains de sport, malgré leur différence de gabarit, il fallait qu'ils soient dans la même équipe. Ce fut le début d'une période de tranquillité et de bonheur absolu.

Woody intégra l'équipe de basket-ball de l'école, qu'il mena à la conquête du championnat pour la première fois de son histoire. Hillel, lui, développa le journal de l'école, de manière spectaculaire : il ajouta une partie consacrée au suivi de l'équipe de basket-ball et mit les exemplaires en vente les soirs de match. L'argent récolté alimentait le tout nouveau « Fonds de l'Association des parents d'élèves pour les bourses d'études ». Il s'attira les honneurs de ses professeurs, le respect de ses camarades et, dans ses notes personnelles, Hennings écrivit à propos d'Hillel :
Élève sensationnel, doté d'une intelligence exceptionnelle. Est un apport indéniable pour l'école. A réussi à fédérer ses camarades autour du projet de journal et a organisé la venue du maire dans l'école pour une conférence sur la politique. Un seul mot: stupéfiant.

Bientôt, le terrain derrière l'école ne leur suffit plus. Il leur fallait plus grand, il leur fallait un endroit à la hauteur de leurs ambitions. Après les cours, ils allèrent rêvasser dans la salle de sport du lycée de Roosevelt High, près de l'école. Ils arrivaient avant l'entraînement de l'équipe de basket, se faufilaient jusqu'au parquet et, fermant les yeux, s'imaginaient le Forum de Los Angeles, le Madison Square Gardens, et la foule en délire qui scandait leurs noms. Hillel grimpait sur les gradins, Woody allait se placer au bout de la salle. Hillel feignait d'avoir un micro en main : « À deux secondes de la fin du match, les Bulls sont menés de deux points. Mais si leur ailier Woodrow Finn marque ce panier, ils remportent les playoffs ! » Woody, dans un instant de grâce, les yeux mi-clos, les muscles bandés, tirait. Son corps s'élançait dans les airs, ses bras se détendaient, le ballon fendait la salle dans un silence absolu et venait atterrir dans le panier. Hillel poussait un hurlement de joie : « Viiiiniiiiiictoire des Chicago Bulls par ce panier décisif de l'incroyaaaaaable Woodrow Finn ! » Ils se jetaient dans les bras l'un de l'autre, faisaient un tour d'honneur et s'enfuyaient ensuite, craignant d'être surpris.

Il arrivait que Woody vienne trouver Tante Anita et lui demande, en chuchotant :

— Madame Goldman, je... je voudrais bien essayer de téléphoner à mon père. Je voudrais lui donner des nouvelles.

— Bien entendu, trésor. Utilise le téléphone autant que tu veux.

— M'dame Goldman, c'est que... je voudrais pas qu'Hillel sache. Je veux pas trop parler de ça avec lui.

— Monte dans notre chambre. Le téléphone est à côté du lit. Appelle ton père quand tu veux et autant que tu veux. Tu n'as pas besoin de demander, trésor. Monte, je m'occupe de distraire Hillel.

Woody se glissa discrètement jusqu'à la chambre d'Oncle Saul et Tante Anita. Il attrapa le téléphone et s'assit sur la moquette. Il sortit un morceau de papier de sa poche, sur lequel était inscrit le numéro et le composa. Personne ne décrocha. Le répondeur téléphonique s'enclencha et il laissa un message : « Salut P'a, c'est Woody. je te laisse un message parce que... je voulais te dire : je vis chez les Goldman maintenant, ils sont drôlement gentils avec moi. Je joue au basket dans l'équipe de ma nouvelle école. Je réessayerai de t'appeler demain. »

 

*

 

Quelques mois plus tard, à l'approche des vacances de Noël 1990, lorsque Oncle Saul et Tante Anita proposèrent à Woody de les accompagner en vacances à Miami, sa première réaction fut de refuser. Il considérait que les Goldman étaient déjà suffisamment généreux avec lui et qu'un tel voyage représentait beaucoup d'argent.

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