Read Agatha & Savannah Bay Online
Authors: Marguerite Duras
Silence.
Tout à coup, voici le Siam.
JEUNE FEMME. — « Vous habitez le Siam, madame ? »
MADELEINE. — « C’est-à-dire que quelquefois, monsieur, n’est-ce pas, j’oublie où je… Excusez-moi. »
JEUNE FEMME. — « Elle est là pour un film, monsieur. Elle tourne un film à Savannah Bay. Avec Henry Fonda. »
MADELEINE
(heureuse).
— « Oui, c’est ça, je tourne un film à Savannah Bay avec Henry Fonda. Titre :
Savannah Bay. »
JEUNE FEMME. — « Ça arrive souvent, des films, ici, à cause de l’admirable lumière de Savannah Bay. »
MADELEINE. — « Admirable… admirable… »
JEUNE FEMME. — « Toujours égale. Presque jamais de pluie. À peine quelques typhons vers les équinoxes. C’est tout. »
MADELEINE. — « C’est tout. »
JEUNE FEMME
(temps).
— « Un film d’amour, madame ? »
MADELEINE. — « Bien sûr, monsieur, bien sûr… »
Musique de Schubert.
Geste de tristesse de Madeleine : deux larmes essuyées du doigt.
JEUNE FEMME. — « Pourquoi ce désespoir, madame, tout à coup ? »
MADELEINE
(lenteur).
— « Parce que… je ne sais plus, monsieur, sur quoi je pleure… »
(Silence).
« À mon avis, monsieur, elle se serait donné la mort une nuit, ici même. À Savannah Bay. Morte d’aimer.
(Silence).
Vous auriez été son amant.
(Temps).
Elle aurait essayé de vous entraîner dans la mort.
(Temps).
Vous ne seriez pas parvenu à mourir.
(Temps).
Elle aurait eu dix-sept ans.
(Temps).
Une enfant serait née de cet amour.
(Temps).
De cette mort dans la mer chaude de Savannah Bay. Mais qui sait ?
(Temps long).
C’est ce que je crois, monsieur, avoir su.
(Temps long).
Il y aurait de cela très longtemps, monsieur, on le dit, un nombre considérable d’années.
(Temps).
Alors, monsieur, à force, moi, je me trompe dans les dates… les gens… les endroits…
(Temps).
Partout elle est morte.
(Temps).
Partout elle est née.
(Temps).
Partout elle est morte à Savannay Bay.
(Temps).
Née là. À Savannah. »
JEUNE FEMME. — Il vous a dit que ce n’était pas lui qu’elle avait aimé.
(Temps). «
Ce n’est pas moi, madame, qui ai vécu cet amour. Excusez-moi. »
MADELEINE. — « C’est égal, monsieur, c’est égal… »
(Silence).
Je m’en allais. Je quittais le Siam.
JEUNE FEMME. — Vous recommenciez à chercher.
MADELEINE. — Oui. Partout. Dans les villes du monde qui sont au bord de la mer.
JEUNE FEMME. — Shangai… Calcutta… Rangoon…
(Temps).
Ou encore ailleurs…
(Temps).
Bombay… Paris-Plage… Bangkok… Djakarta… Singapore… Lahore… Biarritz… Sydney…
MADELEINE. — Saigon… Dublin… Osaka… Colombo… Rio…
(Temps).
Et qui sait ?
(Temps).
Et qui sait ?
JEUNE FEMME. — Et qui sait ?
Silence. Ton différent, comme d’un autre jour.
JEUNE FEMME. — À l’enfant qui est né on n’a pas donné de nom, je vous l’ai dit ?
MADELEINE. — Elle s’est nommée elle-même plus tard.
JEUNE FEMME. — C’est ça. Elle s’est donné le nom de Savannah.
JEUNE FEMME
(temps).
— Celui du feu.
MADELEINE. — Celui de la mer.
ŒUVRES DE MARGUERITE DURAS
LES IMPUDENTS (1943,
roman,
Plon, rééd. Folio, 1992).
LA VIE TRANQUILLE (1944,
roman,
Gallimard).
UN BARRAGE CONTRE LE PACIFIQUE (1950,
roman,
Gallimard).
LE MARIN DE GIBRALTAR (1952,
roman,
Gallimard).
LES PETITS CHEVAUX DE TARQUINIA (1953,
roman,
Gallimard).
DES JOURNÉES ENTIÈRES DANS LES ARBRES,
suivi de :
LE BOA — MADAME DODIN — LES CHANTIERS (1954,
récits,
Gallimard).
LE SQUARE (1955,
roman,
Gallimard).
MODERATO CANTABILE (1958,
roman,
Éditions de Minuit).
LES VIADUCS DE LA SEINE-ET-OISE (1959,
théâtre,
Gallimard).
DIX HEURES ET DEMIE DU SOIR EN ÉTÉ (1960,
roman,
Gallimard).
HIROSHIMA MON AMOUR (1960,
scénario et dialogues,
Gallimard).
UNE AUSSI LONGUE ABSENCE (1961,
scénario et dialogues,
en collaboration avec Gérard Jarlot, Gallimard).
L’APRÈS-MIDI DE MONSIEUR ANDESMAS (1962,
récit,
Gallimard).
LE RAVISSEMENT DE LOL V. STEIN (1964,
roman,
Gallimard).
THÉÂTRE I : LES EAUX ET FORÊTS — LE SQUARE — LA MUSICA (1965, Gallimard).
LE VICE-CONSUL (1965,
roman,
Gallimard).
LA MUSICA (1966,
film,
co-réalisé par Paul Seban, distr. Artistes Associés).
L’AMANTE ANGLAISE (1967,
roman,
Gallimard).
L’AMANTE ANGLAISE (1968,
théâtre,
Cahiers du Théâtre national populaire).
THÉÂTRE II : SUZANNA ANDLER — DES JOURNÉES ENTIÈRES DANS LES ARBRES — YES, PEUT-ÊTRE — LE SHAGA — UN HOMME EST VENU ME VOIR (1968, Gallimard).
DÉTRUIRE, DIT-ELLE (1969, Éditions de Minuit).
DÉTRUIRE, DIT-ELLE (1969
, film,
distr. Benoît-Jacob).
ABAHN, SABANA, DAVID (1970, Gallimard).
L’AMOUR (1971, Gallimard).
JAUNE LE SOLEIL (1971,
film,
distr. Films Molière).
NATHALIE GRANGER (1972,
film,
distr. Films Molière).
INDIA SONG (1973,
texte, théâtre,
Gallimard).
LA FEMME DU GANGE (1973,
film,
distr. Benoît-Jacob).
NATHALIE GRANGER,
suivi de
LA FEMME DU GANGE (1973, Gallimard).
LES PARLEUSES (1974,
entretiens avec Xavière Gauthier,
Éditions de Minuit).
INDIA SONG (1975,
film,
distr. Films Armorial).
BAXTER, VERA BAXTER (1976,
film,
distr. N.E.F. Diffusion).
SON NOM DE VENISE DANS CALCUTTA DÉSERT (1976,
film,
distr. Benoît-Jacob).
DES JOURNÉES ENTIÈRES DANS LES ARBRES (1976,
film,
distr. Benoît-Jacob).
LE CAMION (1977,
film,
distr. D.D. Prod.).
LE CAMION,
suivi de
ENTRETIEN AVEC MICHELLE PORTE (1977, Éditions de Minuit).
LES LIEUX DE MARGUERITE DURAS (1977,
en collaboration avec Michelle Porte,
Éditions de Minuit).
L’EDEN CINÉMA (1977,
théâtre,
Mercure de France).
LE NAVIRE NIGHT (1978,
film,
Films du Losange).
LE NAVIRE NIGHT,
suivi de
CÉSARÉE, LES MAINS NÉGATIVES, AURÉLIA STEINER, AURÉLIA STEINER, AURÉLIA STEINER (1979, Mercure de France).
CÉSARÉE (1979,
film,
Films du Losange).
LES MAINS NÉGATIVES (1979,
film,
Films du Losange).
AURÉLIA STEINER,
dit
AURÉLIA MELBOURNE (1979,
film,
Films Paris-Audiovisuels).
AURÉLIA STEINER,
dit
AURÉLIA VANCOUVER (1979,
film,
Films du Losange).
VERA BAXTER OU LES PLAGES DE L’ATLANTIQUE (1980, Albatros).
L’HOMME ASSIS DANS LE COULOIR (1980,
récit,
Éditions de Minuit).
L’ÉTÉ 80 (1980, Éditions de Minuit).
LES YEUX VERTS (1980, Cahiers du cinéma).
AGATHA (1981, Éditions de Minuit).
AGATHA ET LES LECTURES ILLIMITÉES (1981,
film,
prod. Berthemont).
OUTSIDE (1981, Albin Michel, rééd. P.O. L, 1984).
LA JEUNE FILLE ET L’ENFANT (1981,
cassette,
Des Femmes éd. Adaptation de L’ÉTÉ 80 par Yann Andréa, lue par Marguerite Duras).
DIALOGUE DE ROME (1982,
film,
prod. Coop. Longa Gittata. Rome).
L’HOMME ATLANTIQUE (1981,
film,
prod. Berthemont).
L’HOMME ATLANTIQUE (1982,
récit,
Éditions de Minuit).
SAVANNAH BAY (l
cre
éd., 1982,2
cmc
éd. augmentée, 1983, Éditions de Minuit).
LA MALADIE DE LA MORT (1982,
récit,
Éditions de Minuit).
THÉÂTRE III : LA BÊTE DANS LA JUNGLE,
d’après Henry James, adaptation de James Lord et Marguerite Duras —
LES PAPIERS D’ASPERN,
d’après Henry James, adaptation de Marguerite Duras et Robert Antelme —
LA DANSE DE MORT,
d’après August Strindberg, adaptation de Marguerite Duras
(1984, Gallimard).
L’AMANT (1984,
roman,
Éditions de Minuit).
LA DOULEUR (1985, P.O. L).
LA MUSICA DEUXIÈME (1985, Gallimard).
LA MOUETTE DE TCHÉKOV (1985, Gallimard).
LES ENFANTS,
avec Jean Mascolo et Jean-Marc Turine
(1985,
film).
LES YEUX BLEUS CHEVEUX NOIRS (1986,
roman,
Éditions de Minuit).
LA PUTE DE LA CÔTE NORMANDE (1986, Éditions de Minuit).
LA VIE MATÉRIELLE (1987, P.O. L).
ÉMILY L. (1987,
roman,
Éditions de Minuit).
LA PLUIE D’ÉTÉ (1990,
roman,
P.O. L).
L’AMANT DE LA CHINE DU NORD (1991,
roman,
Gallimard).
YANN ANDRÉA STEINER (1992,
roman,
P.O. L).
ÉCRIRE (1993, Gallimard).
LE MONDE EXTÉRIEUR, OUTSIDE 2 (1993, P.O. L).
C’EST TOUT (1995, P.O. L).
THÉÂTRE IV : VERA BAXTER OU LES PLAGES DE L’ATLANTIQUE — L’EDEN CINÉMA — LE THÉÂTRE DE L’AMANTE ANGLAISE — HOME
de David Storey, adaptation de Marguerite Duras —
LA MOUETTE
d’Anton Tchékhov, adaptation de Marguerite Duras
(Gallimard, 1999).
CAHIERS DE LA GUERRE ET AUTRES TEXTES (P.O.L/IMEC, 2006).
CET OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER LE TRENTE AOÛT DEUX MILLE SEPT DANS LES ATELIERS DE NORMANDIE ROTO IMPRESSION S.A.S. A LONRAI (61250) (FRANCE)
N°D’ÉDITEUR : 4434 N°D’IMPRIMEUR : 071604
Dépôt légal : octobre 2007
Collection “double“
Les Éditions de Minuit
Tu ne sais plus qui tu es, qui tu as été, tu sais que tu as joué, tu ne sais plus ce que tu as joué, ce que tu joues, tu joues, tu sais que tu dois jouer, tu ne sais plus quoi, tu joues. Ni quels sont tes rôles, ni quels sont tes enfants vivants ou morts. Ni quels sont les lieux, les scènes, les capitales, les continents où tu as crié la passion des amants. Sauf que la salle a payé et qu’on lui doit le spectacle.
Tu es la comédienne de théâtre, la splendeur de l’âge du monde, son accomplissement, l’immensité de sa dernière délivrance.
Tu as tout oublié sauf Savannah, Savannah Bay. Savannah Bay c’est toi.
Marguerite Duras
Pièce sublime, pour ne pas changer, méditation d’une comédienne aux portes de la mort.
[…]
Savannah Bay :
deux femmes, Marguerite Duras et Madeleine Renaud, nous tendent en partage ce que la vérité et la poésie peuvent oser de plus beau.
Michel Cournot,
Le Monde
Cette édition se compose de deux versions. La première a été publiée en 1982 ; la seconde, en 1983, comporte les variantes établies par Marguerite Duras lorsqu’elle a monté la pièce au Théâtre du Rond-Point avec Madeleine Renaud et Bulle Ogier.
Marguerite Duras (1914-1996) publiera un an après
L’Amant
qui obtiendra le prix Goncourt et la fera connaître au monde entier.
4’ 4 14
ISBN 978-2-7073-2012-4 |
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9 782707 320124
En couverture : Bulle Ogier et Madeleine Renaud Photo © Brigitte Enguerand, Agence Enguerand
5,50 €
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Au cours de la pièce il y aura ainsi des visites de « Robert », de « Suzanne », de « Jean-Pierre », de « Claude », etc., générations issues d’elle qui passent par là, mais qui jamais ne seront vues. Seulement entendues de loin.
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J’adhère personnellement à cette proposition-là.